Le MSFR : une réelle innovation pour l'électronucléaire Michel Allibert, Véronique Ghetta, Daniel Heuer, Eisa Merle-Lucotte Groupe Physique des Réacteurs - LPSC-IN2P3-CNRS/UJF/Grenoble INP Le concept de réacteur nucléaire à sel fondu (RSF) a été imaginé au début des années 1950 à l'Oak Ridge National Laboratory (ORNL). Un réacteur expérimental de 8 MW-th, le MSRE, y a été conçu et exploité de 1965 à 1969, puis ces études américaines se sont arrêtées en 1976 après la conception papier d'un réacteur surgénérateur de puissance fonctionnant en cycle du combustible Thorium et en spectre neutronique thermique. Malgré tout, la caractéristique fondamentale des RSF qui réside dans l'utilisation d'un combustible, non plus sous forme solide comme dans tous les autres concepts de réacteurs nucléaires, mais liquide, est restée très séduisante. Les possibilités de manipulation et de régénération de combustibles liquides sont bien plus souples. Ils ne demandent pas de mise en forme particulière et peuvent être ponctionnés et injectés sans arrêt du réacteur. De plus, le combustible liquide regroupe à lui seul la double fonction de combustible et de caloporteur. Les risques liés à l'effet de vidange autour desquels s'organise l'ensemble de la sécurité et du pilotage des réacteurs à combustible solide disparaissent dans le cas d'un concept à sel fondu. Dans la décennie écoulée, des chercheurs du CNRS ont analysé scientifiquement les moyens de satisfaire aux critères des réacteurs nucléaires de quatrième génération (sûrs, durables, non proliférants, ...) tout en recherchant la plus grande simplicité au niveau du design. De cette analyse résulte un concept innovant de réacteur nucléaire à sel fondu, en cycle Thorium et à spectre neutronique rapide, très différent du concept historique de l'ORNL et baptisé MSFR (Molten Salt Fast Reactor). Grâce à son spectre rapide, ce concept simplifié et robuste, a pour combustible un sel fluoré liquide ne nécessitant que peu de matière fissile initiale et les tolérant toutes (235U, Pu, actinides mineurs). La surgénération y est assurée par le Thorium, aussi ce type de réacteur permet-il de faire une transition optimisée entre le cycle ouvert actuel U-Pu et un futur cycle fermé Th-233U reconnu non proliférant. Ce concept a été retenu par le forum international Génération IV en 2008 pour être étudié comme futur modèle de RSF. Le concept de MSFR permet de tirer le meilleur profit possible des qualités intrinsèques des combustibles fluorés liquides : les possibilités d'ajustement en continu de la composition du sel combustible, les capacités d'obtention de hautes températures (650-800°C) donc un bon rendement thermodynamique (plus de 50%), et de très fortes densités de puissance sans pression interne importante. Il est ainsi possible de faire varier, ou de laisser varier, continûment la composition du combustible, sans recours au traitement chimique lourd que l'on connaît pour les combustibles solides ni au stockage hors réacteur d'une fraction importante du combustible. Il en résulte un faible inventaire en matière fissile (la plus précieuse) par rapport à n'importe quel réacteur régénérateur à combustible solide (5 fois moins environ). Le traitement chimique du sel porte sur un flux limité inférieur à 10 l/jour/GWth. Il peut même être suspendu pendant plusieurs mois sans empêcher le fonctionnement du réacteur, mais au détriment de sa surgénération si l'arrêt se prolonge sur plusieurs années. Les sels fondus ont pour propriété d'avoir un fort coefficient de dilation thermique ce qui induit, par variation de densité et à volume de cœur presque constant, un coefficient de contre réaction thermique très négatif. Le coefficient de vide est lui aussi très négatif. Grâce à ces excellents coefficients de sûreté, le comportement du MSFR est intrinsèquement sûr, toute augmentation intempestive de puissance conduit à un échauffement instantané du sel et à sa sortie du cœur hors zone de criticité, dans un vase d'expansion, voire dans des réservoirs de vidange d'urgence. Ceci conduit aussi à une excellente stabilité de fonctionnement : la réactivité s'ajuste seule par variation de température et la puissance par la demande calorique. Enfin la présence du fluor, par ses caractéristiques nucléaires, limite l'énergie des neutrons ce qui contribue à réduire les dégâts d'irradiation d'au moins un ordre de grandeur par rapport à d'autres réacteurs rapides, d'autant qu'aucun matériau n'est présent dans le cœur du réacteur (cuve remplie de sel). Cela ne nuit en rien aux capacités de régénération du concept grâce au cycle Thorium utilisé. Il est nécessaire à présent de prouver la faisabilité du MSFR car certaines questions restent ouvertes comme la tenue des matériaux au fluage et à l'irradiation, le retraitement complet du sel ou celui des produits de fission gazeux ou encore les échangeurs de chaleur. Des démonstrations expérimentales de systèmes techniques sont nécessaires pour faire une première évaluation concrète du concept. Dans ce but, une boucle de sels fluorés à haute température circulant en convection forcée (projet FFFER - Forced Fluoride Flow for Experimental Research), financée par l'Institut Carnot Energies du futur et le CNRS, est en construction à Grenoble. Cette boucle permettra de se familiariser avec la manipulation de sels fondus en conditions dynamiques, et de tester une partie du procédé de nettoyage des sels par injection de gaz neutres. La construction d'une telle boucle à sel fondu est à l'heure actuelle un véritable challenge du fait de l'absence d'un milieu technique et industriel fort soutenant cette activité. Les recherches en cours au CNRS et dans des laboratoires étrangers (Japon, USA...) visent à acquérir des connaissances scientifiques de base sur la totalité des questions soulevées, du design du réacteur à sa sûreté d'exploitation en passant par la chimie associée et les matériaux. Le CNRS, dans le cadre de son programme interdisciplinaire PACEN, y consacre de 10 à 15 hommes.an. Le projet EVOL lancé début 2011 en collaboration Euratom-Rosatom permettra de mettre en commun les capacités d'une douzaine de partenaires dans 8 pays. Enfin des échanges internationaux (France, USA, Japon, Russie) ont lieu dans le cadre du forum international Génération IV du DOE. Les références et publications des travaux de recherche du MSFR sont téléchargeables sur la page suivante : http://lpsc.in2p3.fr/gpr/gpr/french/publis-rsf.htm - Nous citons les plus pertinentes ci- dessous. Références RSF du Forum Génération IV Generation IV International Forum, "Annual report 2008", http://www.gen- 4.org/PDFs/GIF 2008 Annual Report.pdf, 36-41 (2008) C. RENAULT et al., "The Molten Salt Reactor (MSR) in Generation IV: Overview and Perspectives", Proceedings of the GIF Symposium 2009, http://www.gen- 4.org/GIF/About/documents/30-Session2-8-Renault.pdf, Paris, France (2009) Références MSFR D. HEUER, E. MERLE-LUCOTTE, L. MATHIEU, "Concept de réacteurs à sels fondus en cycle Thorium sans modérateur", Revue Générale du Nucléaire, N° 5/2006, 92-99 (2006) C.W. FORSBERG et al, "Liquid Salt Applications and Molten Salt Reactors", Revue Générale du Nucléaire N° 4/2007, 63 (2007) E. MERLE-LUCOTTE, D. HEUER et al., "Introduction of the Physics of Molten Salt Reactor", Materials Issues for Generation IV Systems,NATO Science for Peace and Security Series - B, Editions Springer, 501-521 (2008) L. MATHIEU, D HEUER, E. MERLE-LUCOTTE et al., "Possible Configurations for the Thorium Molten Salt Reactor and Advantages of the Fast Non-Moderated Version", Nucl. Sc. and Eng., 161, 78-89 (2009) D. HEUER et al., "Le réacteur à sels fondus MSFR", Sels fondus à haute température (SELF) Conference, Presses Polytechniques et Universitaires Romandes, Chapter 11 (2009) E. MERLE-LUCOTTE, D. HEUER et al., "Optimizing the Burning Efficiency and the Deployment Capacities of the Molten Salt Fast Reactor", Proceedings of the International Conference Global 2009 - The Nuclear Fuel Cycle: Sustainable Options & Industrial Perspectives, Paper 9149, Paris, France (2009) V. GHETTA et al., "Boucle en convection forcée pour l'étude du nettoyage en ligne de caloporteurs de type sel fondu", Contribution 0574, Proceedings of the Materiaux 2010 Conference, Nantes, France (2010) L. MATHIEU, "Cycle Thorium et Réacteurs à Sel Fondu: Exploration du champ des Paramètres et des Contraintes définissant le Thorium Molten Salt Reactor", Thèse de doctorat, Institut Polytechnique de Grenoble, France (2005) X. DOLIGEZ, "Influence du retraitement physico-chimique du sel combustible sur le comportement du MSFR et sur le dimensionnement de son unité de retraitement", Thèse de doctorat, Institut Polytechnique de Grenoble, France (2010)